Je vous ai dit "non". Pour que vous compreniez bien que je croyais plus à rien. Non, je ne suis pas prête à prendre un crédit pour cela, à affronter de nouvelles douleurs, de nouveaux risques. Non, je ne veux plus vivre dans l'angoisse d'une douleur étrange qui vrillerait mon sourire. Plus cette peur de l'os rongé par des germes.
Non, je ne suis plus capable de supporter le supplice d'il y a trois mois. Quand je suis arrivée chez vous, les yeux bouffis de larmes, la tête comme un nerf chauffé à blanc. Je ne veux plus devoir imaginer alors combien de temps j'aurai tenu avant d'avouer. Si vous aviez été bourreau.
Mais qu'étiez-vous d'autre alors ? Je m'accrochais, démente au souffle court, le visage inondé, laissant des râles s'échapper. Je gémissais sous les douleurs insupportables qu'il avait pourtant fallu supporter. C'était trop important. Trop... Il fallait le faire, même sans anesthésie.
Et quand j'ai saisi le dérivé morphinique, que j'ai avalé en tremblant, pitoyable bouche ensanglantée, j'ai su que jamais plus.
Depuis je cicatrise. Et je répète sans férir "non" à vos propositions. Non, il est trop tard, l'os friable se casse parfois. Pour rien. En respirant.
Et je supporte. Les plaies et ces prothèses rigides qui les blessent encore plus. Je supporte. Je supporte, car ces douleurs là, je les reconnais. Ce ne sont que des plaies.
Vous avez oublié, à trop me soigner, la compassion. Et je ne vous vois plus que comme mon bourreau.
Il m'aura fallu du temps pour le comprendre. Le temps d'un regard, aux urgences, avec ma joue tuméfiée et mes yeux aux pupilles dilatées de trop de comprimés. La compassion, comme la caresse du soleil. Malgré le temps qui lui était compté, elle avait pris la peine d'un geste sur ma joue, d'un sourire, d'une phrase pour m'absoudre de mes regrets. Ma décision était la bonne. Oui, il me fallait le faire. Elle l'avait dit, si doucement, avec tant de regrets pour son métier et tant de compassion pour mes douleurs.
Bientôt nous avons rendez-vous, vous qui attendez que je sois courageuse, comme d'habitude. Puisque je dis "non". Je ne changerai pas de bourreau, vous connaissez mes os, mes cicatrices comme personne. Je sais les nouvelles plaies, à venir les nouvelles douleurs. Je sais.
Je vous dois combien ?