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Eau vive
8 juin 2007

Plume sèche

Tu griffes la page de la pointe d'acier, mais elle ne saigne pas, crisse un peu de ses fibres arrachées et te laisse désemparé. Tu la froisses dans un bruit de feuilles mortes, mais elle ne résiste pas et te lasse. Tu la jettes loin de toi et ce n'est qu'un son mat qui te rassure si peu. Alors tu la déchires, en bandelettes fines, une à une dans des soupirs feutrés. Mais la page en lambeaux ne t'as pas apaisé.
Déjà épuisé, tu te lèves et tu hurles à la blancheur du ciel que tes mots doivent aller plus haut, flamber leurs douleurs près du soleil. Et tu attends la nuit pour crever de ton hurlement ce plafond d'un bleu si noir.
Tu attends, la voix éraillée, les yeux emplis de sable de ne plus vouloir se fermer. Tu attends. Ta gorge suinte d'un acide qui la ronge et ta bouche se craquelle de soupirs brûlants.
Tu attends, et tes doigts crispés enfoncent leurs ongles dans la chair tendre de tes paumes, et tes muscles cristallisent ta haine en aiguilles.
Hurle, va, si tes lèvres blanches en savent encore l'écho assourdissant.

Tu te rassoies devant le clavier aux touches noires. Et tu frappes. Comme un fou, tu scandes tes silences en sons mats et étouffés. C'est ta symphonie, ton ultime récital. Tu n'as pas encore compris que tu étais devenu sourd à la vie qui bat son tempo.

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8 juin 2007

Désorientation

Elle avait tracé sur la plage de sable gris une phrase. Un cri, puis un souffle, un chant. Et le point, le point final. En bois flotté. La phrase avait suivi l'assemblage de mots tracés, puis fut refermée d'un point appliqué.
En la relisant, après, elle n'en comprit plus le sens. Qu'avait-elle écrit là, avant, il y a si longtemps, qu'elle ne savait plus le  comprendre ? La clé... la clé, où était-elle ? Celle qui parfumait à la barigoule les sentiers, celle qui laissait les sens se dérouter près d'un verre de vin blanc frais ?

Elle avait jeté l'ancre dans une crique isolée. Et le temps avait passé. La boussole avait perdu le Nord, et le radeau avait des allures de méduse morte. Les mots. Il n'y en avait plus un seul de vivant. Sur la coque tapissée d'algues douces, les coquillages s'accrochaient. Et les filaments des anémones de mer se balançaient en éclats roses.

Elle marchait, en rond, et rond et rond petit patapon, chantonnant une litanie enfantine, balançant sa tête où le vent soufflait en tourbillon chaud. Elle avait perdu le nord et le sud, et suivait la lune comme un soleil. Le temps avait cassé son horloge. Le temps l'avait égarée. Elle ne savait plus.

6 juin 2007

Goutte de cire

Je m'en souviens, le temps n'a pas encore tout effacé de ma vie.
J'étais avec eux, nous étions d'une belle couleur grège, presque douce tant elle satinait la lumière. La main nous avait dressés dans un chandelier de bronze à la dorure piquetée : nous étions fiers, n'attendions rien. Nous regardions le temps qui s'écoulait en lumières et pénombres.
Un soir une allumette vint enflammer la mèche dans une odeur de soufre. Il y eu un léger grésillement, des lumières jaunes et orangées éclaboussèrent la nuit autour de la flammèche bleue. Il faisait si bon. Nous sentions que nous nous dilations, le coeur avide de mouvements.
Cette soirée là il y eut un ballet de petits insectes autour de nous. Et des ombres qui vacillaient. Nous vivions pleinement
Enfin ce fut mon tour.
Je sentai ma forme solide qui se noyait. Je sentai cette chaleur qui m'enveloppait.
J'ai fini par les quitter et me déposer lentement le long du corps tiède de ce qu'était ma vie, avant.
Deux doigts me saisirent doucement et jouèrent à me façonner en perle molle. Je n'eus pas peur, bien au contraire. L'on attachait donc de l'importance à moi, simple goutte de cire grège ? Je me coulai dans les sillons de la peau chaude, gravai les tatouages intimes des empreintes digitales en moi. Ce fut une vie de bonheurs éphémères.
Mais les doigts se lassèrent de me modeler, et je fus jettée au fond d'une poubelle noire et humide.
J'attends maintenant.
Le grand feu de la fin, qui me verra mourir en bulles translucides et irisées, dans un parfum nauséeux.
J'attends. Que me reste-t-il d'autre à faire ?

30 mai 2007

Le pieu

J'avais la démarche sûre du funambule qui sait que le vide est tout autour de son équilibre.
J'avais la tête fière de la reine qui monte à l'échafaud.
J'étais sûre d'être fragile, et convaincue de ne pas me briser.
Et le pieu de plomb qui raccrochait mes poumons à mon dos me maintenait droite.

Au détour de la route, au bord de cette rangée de garages bétonnés à l'allure d'un couloir de prison.
Au bord de l'abîme déjà.
Tes bras m'ont entourée de toutes leurs forces, et tu tremblais. 

Le pieu si lourd a crevé le nuage chargé d'orage contenu depuis trop longtemps.
Tu ne disais rien d'autre que ce manque, chaque minute, chaque jour, chaque instant, ce manque qui t'habite.
Je ne disais rien d'autre que des sanglots rauques et des yeux brûlés.
Et tu dis que tu m'aimes, que tu m'aimes, que tu m'aimes.
Chaque minute, chaque jour, chaque instant, cet amour qui t'habite.

J'avais la démarche lourde du forçat entravé de chaînes.
J'avais la tête brûlante de la fièvre maligne.
J'étais sûre d'être brisée, pantin désarticulé.
Et le pieu de plomb qui raccrochait mes poumons à mon dos traversa mon coeur.
Aimer ainsi, c'est me faire mourir, tu sais.

30 mai 2007

Dialogue de sourds

-- La plume est complètement desséchée, regardez, elle se rouille, quelle honte ! Quand je pense que vos enfants vous ont offert des encres superbes à Noël...
Ouvrez les yeux : c'est quoi, ça, ce creux du matelas, là, juste cette minuscule place. Vous dormez donc toujours en boule ?
Que faites-vous de votre vie, merde ? Vous trouvez ça drôle de regarder les heures, les jours, les mois, les années, comme un légume qui se flétrit sur le rebord d'un cageot ? Vous me faites honte.
Vous me répugnez de tant de passivité. Je vous ai connue autrement vivante, et combative. Je me souviens de la fatigue qui tombait sur mes épaules de vous suivre. Mais qu'est-ce que je fais encore là, à vos côtés ? J'en ai marre, vous comprenez, marre de votre sourire qui pue le faux. Marre de vos biscuits à la con. Marre des concerts où vous dansez les yeux fermés, comme si personne n'était autour de vous. Marre de ce mec qui vous a pourri la vie et que vous prétendez aimer encore. Marre, marre marre.
Je  vous aimais quand vous étiez vraie, et belle de vos sourires, belles de notre complicité. Je  vous aimais quand vous n'étiez pas comme un cadavre putride qui se compose des chairs d'apparence. Je lis votre blog, que croyez-vous ! Je vous aimais, avant.
Je crois que je vais m'éloigner, vous laisser choisir. Je ne peux plus rien pour vous.
-- (...)
-- Répondez ! Dites-moi quelque chose !
-- Merci.
-- Merci ??? Mais vous êtes malade ou quoi ? Merci de quoi ? 
-- Merci Ego, de m'avoir tenu compagnie.

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29 mai 2007

Nid vide

Son image s'était découpée en contre-jour, dans la rue étroite qui peinait à s'arrondir. Elle avait regardé la silhouette, ne pouvait plus détacher son regard de ce balancement un peu lourd, de cette nuque épaisse. La lumière disparaissait des murs de pierre, des trottoirs, il n'y avait plus que l'image en ombre chinoise qui se détachait du flou. Elle n'osait plus avancer de son pas rapide, de peur de le voir tanguer et disparaître. Elle ne respirait plus, écoutait les martellements qui oppressaient sa poitrine.
Pourquoi était-elle là ? tellement emplie de ce vide ? La vue, le goût, l'odeur, tout ce qui était, était encore imbibé de lui. Il l'avait dépouillée de ses sens, de sa fierté. Elle avait courbé la tête, s'accrochant à en pâlir les jointures à ce rien qui l'obligeait à vivre. Elle avait perdu ses désirs, avait égaré sa joie. Était-ce cela, vivre ? même pas survivre, qui l'aurait portée de sa rage.
La silhouette s'amenuisait au loin, elle tourna brusquement le dos et partit.
Ses mains étaient vides. Le temps où des doigts les enserraient, ce temps-là avait fini par fuir ses souvenirs. Elle tourna sa main vers le ciel ; regarda la paume, au creux tiède comme un nid. Une larme roula au dedans. Et sa langue en lécha le goût salé.

27 mai 2007

Puzzle

Ils lui avaient dit "Il faut vivre". Il n'avait pas bien compris, sur le moment. Vivre, n'était-ce pas ce qu'il avait toujours fait ? Ils aimaient la vie, les longues marches sur la grève, les clairs-oscurs, les siestes, les livres, boire un thé sur la terrasse, parler, parler, parler... bien sûr qu'ils aimaient la vie ! 
Ce fut quelques jours après que leur injonction prit tout son sens. Quand ils furent tous rentrés chez eux, quand leur présence avait cessé de remplir les heures.
"Il faut vivre !"
Il faudrait que tout soit comme avant ? avant qu'elle ne parte sans le prévenir ? avant qu'elle ne le laisse ? Les voyages, même à la pâtisserie, c'était avec elle qu'il aimait les faire. Et maintenant, la seule valise qu'elle avait laissé était à la consigne, une valise de souvenirs qui s'entrechoquaient dans le noir.
Il avait trouvé la clé et le code. Il avait ouvert le bagage plein d'odeurs. Elle était là, dans ces foutus souvenirs, puzzle aux milliers de pièces. Il avait le temps, le temps démesuré de son absence pour composer l'image, rassemblant une à une les pièces. Il n'y avait pas d'heure où il ne regardait le tableau fracturé. Qu'aurait-elle fait, ou dit ? qu'aurait-elle pensé de cet article, de cet arbre ? Et il cherchait machinalement dans les morceaux épars.
C'était donc cela, vivre ?

Il s'était assis. Il attendait.
Vivre à en mourir, c'était ce qu'elle avait fait.
Lui, mourait de vivre sans elle.

26 mai 2007

Rien de réel

Juste du silence. De l'oubli. Et la blessure, quand tu t'es repu de lire mes douleurs.
Je suis ici.
Solidement amarrée à mes encres.
Tu pensais que j'allais m'effondrer, comme statue d'argile ?
Je me modèle ici.
En mots devenus opaques de transparences superposées, en feuillets de verre nu.
Ma pudeur est ailleurs : tu croyais m'anéantir en bousculant mes mots ?
Tu pensais me démaquiller jusqu'au sang en me privant de mes phrases nues ?
Je me suis ancrée ici. Je m'en moque de la vase entre les lignes.

Je suis amarrée au rythme des tempêtes de ma vie. C'est ma bouée, ma poubelle des mers.
J'y nettoie mes encres les plus noires.

25 mai 2007

Le bec des mouettes

La vague avait déferlé. J'aurais dû être plus attentive au silence étrange de l'air qui se gonflait d'eau.
Maintenant j'attends. Le pourrissement de mes chairs, le ventre qui s'emplira des gaz et joueront de moi comme d'un culbuto. Je me décompose, le visage tournée obstinément vers le fond, les yeux brûlés du sel. Aussi froide que le brouillard d'un hiver éternel qui aurait dissout les saisons.  Ma peau se pare en éventail de rides profondes gorgées d'eau. Je flotte, plus légère de mes chairs où le sang de la vie s'est figé.
Bientôt, au gré d'une marée plus puissante, je rejoindrai le sable et les galets. Un pêcheur me trouvera peut-être dans son filet. Je serai alors bleue, comme ces poissons morts qui se laissent porter par le courant. Et l'on me mettra dans un tiroir noir et froid en attendant de savoir. Le scalpel sera indispensable; l'on regardera avec soin mes alvéoles pulmonaires. Je les entends, doctement dictant leur rapport. "Morte par noyade. Pas de traces de coups et blessures." Les crevures de mon ventre seront attribuées aux mouettes voraces, peut-être des rieuses, au bec noir, et quelques taches rondes et violacées aux ventouses d'animaux marins.
Je suis morte.
C'est étrange de flotter ainsi.

26 avril 2007

Le temps décomposé

Ça tord les tripes, le manque.
Parce que j'étais comme un torrent, avant, un torrent tout bouillonnant, qu'un gamin a arrêté, par jeu, par simple jeu, avec de gros galets luisants, jusqu'à ce que ma source verdisse sous terre.
Pour ouvrir la brèche j'ai joué des mots d'aimant à démagnétiser, par petits bouts, en vers, sans sens. Mes sens à l'envers, c'était la réalité, alors. Je me croyais à l'endroit, et je glissais doucement dans le faussé. Allez, on frappe les trois coups, le décor est posé. L'apparence sauve.
L'apparence...
Cela a si souvent été ma réalité. Me raccrocher à l'apparence. Sauver les apparences. Et tellement croire à ce que j'attendais que je ne voyais pas l'abîme. J'avançais, étourdie par la lumière qui m'attirait. Comme les papillons de nuit. Mais je me croyais différente ; pas aveuglée, pas tournoyant jusqu'à m'y brûler ! Et je suis tombée, les ailes racornies.
Je crois avoir compris, aujourd'hui. La mue a été douloureuse, je n'avais de cocon, juste ma peau à arracher, en petits lambeaux. Mais surtout sans saigner. Cela est peu ragoûtant pour les autres.
L'apparence...
Oui, cela les fait sourire, mon allure dégingandée, et mes grandes enjambées. Cela leur plaît, mon sourire aux éclats et mes gestes encombrés de vent. Ma parole douce ou tranchante et ma dérision. Cela leur plaît que je sois si sérieuse et parle de sexe avec autant de précision que d'un tableau statistique. Et moi, je me déplais, c'est un peu con...je trouve.
C'est le manque. Je crève de ces mots en torrents silencieux qui m'obstruent la joie. Je crève de ne pas dire (...) parfois, juste quelquefois.
Mais tout ça c'est pure apparence, celle, trompeuse, de mes mots. En réalité je souris. Et je compose celle que vous voyez ici, même pas en temps composé, au présent.
Pour une absente, je trouve ça très drôle ! Pas vous ?

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