je vous remercie d'avoir bien voulu m'accorder cinq minutes de votre précieux temps. Il est vrai que c'est la troisième fois en peu de temps que vous assistez à mes échanges officiels, par voie hiérarchique, avec copie à qui de droit et bla et bla et bla. Sur des sujets qui me fâchent.
Hélas, mes mails sont de plus en plus concis, en une prose teintée d'un humour potache, bref mes correspondances sont de plus en plus... cinglantes. Et changent du fameux politiquement correct qui est de mise dans notre administration.
Pourquoi m'avoir demandé si le temps béni de mes vacances approchait ? Avez-vous peur que je n'explose, telle une cocotte-minute dégueulant sur votre moquette mes tableaux de variables, mes fax hors d'usage et ma calculette nouvellement fournie ?
Avouez le, Monsieur le chef du personnel et de ce matériel qui n'est pas qu'humain, je vous fais rire. Moi aussi, je vous le confirme. Le duel que nous nous livrons devient morceau d'anthologie. Et j'y ai déjà gagné un fax flambant neuf.
Aujourd'hui, j'ai déposé - soulevant au passage un nuage de feuillets- avec un de ces gestes brusques qui caractérisent mon humeur quand elle se chiffre en kilo-bar, j'ai donc jeté déposé sur votre bureau ma calculette, communément appelée "l'objet du délit". Celle qui m'a été fournie en remplacement de feu la précédente (paix à son âme).
Un bon kilo, non ? Et presque un format A4. Tellement pratique quand j'ai le téléphone coincé sous l'oreille, un document litigieux sous les yeux, un crayon dans la main, et la foutue calculette à gauche (ben oui, la prise est à gauche). Là, c'est une question de souplesse, mais j'y arrive.
Quant au fait qu'elle ne soit pas portative....mon équipe va adorer ce que vous me préconisez ! Vos conseils sont précieux, Monsieur le chef du personnel. Bien sûr ! dirait Maigret, il suffit que je leur fasse ouvrir la magique calculette informatique de Windows, suis-je bête ! et de m'assoir à leur clavier. Ils vont aimer, j'en suis sûre. Attendre debout que j'ai fini, ça va leur délasser les jambes. C'est tellement plus simple qu'une calculette, tellement. Et puis j'imprimerai aussi la page écran où il y a des chiffres litigieux, parce que la merveilleuse calculette informatique, elle n'aime pas rester collée à une page-écran. Mais bien sûr je peux cliquer 15 fois dessus, dans la barre des tâches... C'est tellement plus simple qu'une calculette normale, tellement...
Je l'ai bien remarqué, votre bouche s'est ouverte au même moment que vos yeux s'écarquillaient devant mon antique nouveau matériel. Je pense que vous n'aviez pas bien compris avant de la voir..... Non, vous avez résisté à la tentation de fou rire. Moi, j'ai bien ri quand on me l'a donnée, mon antiquité.
- Regardez, elle a 30 ans, et elle marche ! Si si, elle marche ! Je la branche... Vous avez bien une prise de libre? Écoutez le joli bruit ! C'est le moteur qui entraînait - à l'époque où il y en avait - le petit rouleau de papier où les opérations successives s'affichaient. Écoutez encore ! Grrrrrrrr ! À chaque touche appuyée. Grrrrrrr. J'arrête ? Soit.
Cessez donc de contenir votre rire, je ne suis pas sur la scène d'un cabaret. Oui, je sais, c'est votre prédécesseur qui a voté les budgets. Oui, je sais, une calculette nor-ma-le a déjà été refusée à deux autres personnes. Mais moi, je vous donne 15 jours. Avant de lancer un mail à diffusion générale.
Avec un joli montage photo... de moi, votre dévouée responsable d'un job où je passe des journées à manier des chiffres (ça a son importance, merde), en robe chinoise, un boulier à la main, à mon bureau .
Je vous assure que je le fais.
C'est drôle, j'ai cru comprendre que vous me croyez.
Vous m'avez promis de chercher dans vos tiroirs, chez vous. Comme vous l'entendez. Mais je veux des piles neuves dedans. Vous êtes prévenu. Je refuse d'investir 10 € pour bosser dans des conditions normales. Même 1€ d'ailleurs.