Planète taire
Appelle ça comme tu l'entends. Que m'importe de savoir s'il s'agit d'inconscient ou d'intuition ? L'important n'est-il pas ce que je pressens ?
Je ne sais pas où les racines de ma raison puisent leur substrat.
Je ne sais pas plus s'il s'agit de déraison ou de protection.
Oui, je suis une "évitante", comme ils disent... je fuis.
Et je me terre là où je n'ai plus peur : chacun ses lumens, tu sais. Si je me trompe, cela reste malgré tout ma vérité, celle qui me permet de m'affronter, chaque jour.
Tu crois que je ne lui accorde aucune chance, à cet homme là ?
Tu te trompes.
Je suis prête à accepter d'aimer, et d'être aimée. Mais les années défuntes ont eu deux effets sur ma vue.
Le premier s'appelle la presbytie, je la soigne avec des verres amincis.
Le second, c'est la clairvoyance, drôle de cornée de claire-vue des émotions.
Je ne peux plus croire aveuglément. C'est l'âge, celui de ma raison. Ou de ma déraison, comme tu l'entends.
Cet homme, qui dit m'aimer, pourquoi veux-tu que je le crois de m'aimer, moi ? "Je t'aime".
Il a dans le coeur un flou que je reconnais. Celui des hommes qui aiment, qui aiment, qui aiment.
Ils aiment souvent, ils aiment toujours : leur femme, leur maîtresse, leur amante. Ils aiment. Hier, une. Aujourd'hui, moi.
Tu as raison, seul est l'instant. Demain n'existe jamais. C'est une tendance, pas une réalité.
Mais voilà, aujourd'hui, moi, je ne crois plus vraiment aux mots d'amour. Ils ont dû perdre leur sens, au détour d'une source qui s'est tarie de trop couler.
Voilà, je ne veux pas de mots d'amour, juste des instants qui me le disent en silences précieux.
Où est le dictionnaire de ces mots qui m'atterrent ? de ces mots à me taire ?
Je veux écrire d'autres mots, ceux d'un amour à vivre en silences.