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Eau vive
20 août 2007

Lettre à la mère

- "Merci"
C'est ça que tu voulais entendre ? "Merci ?" Et bien voilà, c'est écrit. Mais j'aurais préféré crever que de te le dire. Tu as rompu l'équilibre que j'avais grain à grain, atteint.
Petit équilibre fragile, petits grains de folie certainement.
Tu as osé. Rompre le pacte tacite du silence.
Quand il est mort, nous avions fait la paix, juste avant. C'est étrange comme j'étais soulagée qu'il meure. 
- "Je suis fier de toi", c'était bien qu'il me dise ça, j'en avais besoin. Et rien d'autre surtout, il savait qu'il fallait se taire pour me préserver.
Mais toi, comment as-tu osé, hier ? Qui t'a permis de crever le sac acide de tes certitudes sur moi ? Moi, je croyais avoir pardonné, et tu as dissout en quelques mots le vernis de mon pardon illusoire. Non, je te t'ai rien pardonné, rien de rien, tu m'entends ?
J'ai raccroché le téléphone, sans hurler ce "tais-toi"  qui m'étouffait, ce n'est que ma politesse qui a empêché le cri de résonner jusqu'à me faire perdre la raison. La politesse d'une fille à sa mère.
- "Au revoir maman", oui, j'ai bien dit ça. J'ai tu ma certitude que je n'aurais jamais dû revenir un jour vers vous. Ces dix ans où mon silence m'a éloigné de vous, mes prédateurs, mes géniteurs, ces dix ans où j'ai créé ma famille.
Vous vous souvenez, quand je suis "revenue", parce que tous insistaient, parce que mes enfants avaient "le droit" d'avoir des grands-parents ... Ce jour là, où la politesse exquise a fait disparaître dix ans de silence. Comme si vous m'aviez vue la veille.
Et tu viens de rompre le pacte du silence.
Ce serait donc grâce à vous, que je suis "arrivée" là où je suis ?
C'est bien ça, que tu m'as expliqué, hier ?
Il faudrait donc que je te dise "Merci" pour votre geste, il y a 33 ans ? "Merci" d'avoir payé les deux mois de loyer d'une chambre de bonne que je n'habitais plus, puisque vous m'aviez coupé les vivres ? Sais-tu où j'ai vécu, maman, à 18 ans ? après que  vous ayez noblement décidé que seul l'hôpital était bon pour moi ? Et après, après le dortoir chez les fous, après les lanières autour des poignets ? Après ?  J'étais dans la rue. Où voulais-tu que j'aille ? Et il faudrait donc que je te dise "Merci" ? pour avoir payé deux mois de loyer ? 
"Merci" ? parce que vous avez payé l'hôpital ? après que j'ai vomi mon estomac rongé par l'acide que j'avais avalé ?
"Merci" ? pour avoir fait de moi un humain qui se trouvait indigne de l'humanité ?
"Merci" ? pour avoir fait germer en moi l'image de chiendent qui me colle  la peau ?
Je croyais avoir pardonné. Je te jure que je croyais, maman.
Mais il ne fallait pas rompre le pacte du silence qui me maintenait dans le pardon.
Il est des craquelures qu'il ne faut pas gratter du bout des mots.
Tais-toi, maman, tais-toi.
C'était un trois janvier, à 17 heures, il y a trente trois ans. Et je n'ai jamais pu pardonner qu'ils m'aient réveillée.
J'avais besoin d'oublier que je vous devais la vie.
P.S. ; je te le dois quand même, ce "merci". Grâce à toi je sais que je ne sais pas pardonner.

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Commentaires
O
Vévé, bien sûr, on devient responsable de soit et de la construction de sa vie quand on est adulte. Mais... réaliser, 33 ans après, qu'en réalité on a RIEN pardonné, c'est difficile. <br /> Encore des certitudes qui s'écroulent ! J'apprends à accepter ces insupportables fragilités qui me constituent.
V
Tu as totalement raison : tu es seule responsable de ta guérison, de ton cheminement, tu es plus forte de ça. C'est ta vie, ça n'est pas celle de ta mère ou de qui que ce soit d'autre. C'est toi qui l'a construit, avec ce que tu as ressenti autour de toi.<br /> Les parents ont tellement peur de devenir inutiles...
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