Seule une lumière jaune filtrait à travers les persiennes. Et je lisais, allongée dans le canapé. Quelqu'un venait de frapper à la porte. J'avais sursauté. Ce n'était pas une heure commune pour une visite imprévue. Il était juste suffisamment tard pour que la nuit se sente libre de noircir le silence. Je crois même qu'il était trop tard, mais je n'ai plus vraiment de certitude, et je n'avais pas pensé à regarder l'horloge.
J'ai quand même entr'ouvert la porte, après tout la lumière signait ma présence.
Il était beau, diablement séduisant. Avec un sourire... le même que certains psychopathes doivent avoir pour réussir avec autant de brio à convaincre leurs proies de les suivre. Le problème c'est que je n'ai pensé à tout ça qu'après. Sur l'instant j'avais été naïvement séduite par l'inconnu qui avait frappé à ma porte. Un jean, un polo pâle, et un sourire à faire tomber les bobinettes de sécurité les plus perfectionnées. Pourtant je n'étais pas en rouge, ni chaperonnée. Mais la bobinette chût quand même.
Quand je fis taire la jeune princesse qui attendait son prince charmant sur son beau cheval blanc, je finis pas articuler un
- Bonsoir, vous désirez ?
Une petite voix répondit dans ma tête,
- Tu fais quoi s'il te dit, je vous désire, vous hein ? tu fais quoi de ta stupide question ?
Mais il ne répondit pas "vous"...
- Veuillez m'excuser de vous déranger à l'improviste, je suis très las. Acceptez-vous de me donner un verre d'eau ? Vous êtes ma dernière visite, la nuit ne fait que commencer, et je n'avais pas envie de vous prendre par surprise. (...)
Là, j'avoue avoir eu un battement de cœur. Me prendre par surprise ? Il m'avait entendue penser ou quoi ?
- Oui, je vous ai bien entendue.... mais je n'ai pas de cheval blanc à garer sur le trottoir en réalité.... Je me présente, la Mort. Oui, la Faucheuse. Celle là même. Mais j'ai évolué au niveau de mon look, vous savez !
Et il entra.
J'étais devenue toute molle et pas du tout glacée d'effroi. Pourtant il y aurait eu de quoi. La Mort ? Mais j'étais en parfaite santé, moi ! Même mes sacro-saintes cigarettes n'avaient pas encore eu le temps d'attaquer mes poumons depuis...
- Depuis vos 13 ans. Cela fait un sacré bout de temps, pas vrai ? Les fumeurs ne meurent pas tous d'un cancer, vous savez ! Vous ce sera le cœur. Normalement dans... voyons... deux heures. Ca nous laisse un bout de temps à papoter !
Papoter avec la Mort. Et pourquoi pas faire...
- Avec plaisir, je vous trouve très séduisante et j'ai eu une journée très pénible aujourd'hui. Des vieux accrochés à leurs couches puantes après avoir emmerdé leur monde tout au long de leur vie, un salopard qui battait femme et enfants et qui a crié "maman" quand je suis venu m'assoir à côté de lui en voiture. Bref, une journée pénible. Aucun pour me remercier de ma visite. Sauf la belle-fille d'un vieillard, mais elle n'a pas osé le dire tout haut, et elle a même fait semblant de pleurer après !
J'avais été lui chercher un verre d'eau dans la cuisine. Il m'avait rejoint de son pas souple, avec un mouvement de bassin à damner une sainte...ce que je n'étais pas ! La Mort, j'étais en train de fantasmer sur les hanches de ma Mort à moi !
Il sourit. Évidemment ! J'avais oublié qu'il lisait dans mes pensées...
Deux heures.. Bon, de toute façon je n'avais plus le temps d'écrire un testament.
- J'aime beaucoup ce que vous avez écrit sur le mur de votre chambre. Ces vers de Baudelaire... une merveille.. "Nous aurons des lits profonds comme des tombeaux...."
- Vous connaissez ma chambre ?
- Oui, j'étais passé par là un soir, mais il n'y avait personne, j'ai voulu visiter. J'aime bien savoir où vivent ceux que dois faire passer de vie à trépas. Surtout quand il s'agit d'une femme aussi séduisante que vous.
Deux heures....
La Mort me prit par la main et je crois bien que j'étais déjà nue à ce moment là. Après tout pourquoi n'aurait-il eu qu'un seul pouvoir ?
Deux heures ? Non, cela avait duré, avait implosé, avait fulguré. Et m'avait anéantie.
Je me suis réveillée ce matin, les cheveux froissés, la peau salée. J'ai souri en pensant à ce rêve sublimement érotique qui m'avait fait jouir dans mon sommeil et venait de me réveiller.
En allant dans la cuisine chercher un café, j'ai trouvé ce petit mot.
- Il est des moments de grâce qu'il faut savoir préserver hors du temps. Je reviendrai. Et je frapperai à votre porte, mais vous n'aurez pas peur, n'est-ce pas ?
Inspiré d'une nouvelle de Navajo M., avec son accord.
Règlements de contes, édité par « Les éditions universelles »