c'est drôle, je suis sûre que personne n'ose t'appeler ainsi. Mais notre histoire, n'a été qu'une faillite annoncée, alors...
Désolée, Monsieur Patron, mais je ne veux plus vous voir. Vous pensiez être touchant ? bégayant être amoureux ?
Bien sûr, je le sais, vous ne vouliez pas l'être. Vous n'en avez pas le temps, vous me le dites. Mais vous êtes prêt. Maintenant.
Je n'ai dit que "non". Non, je ne veux pas vous revoir. Non, je ne veux pas votre aide à mon bonheur. Non non non.
Ma petite entreprise de vie, grâce à vous, a été quelque temps en faillite.
Parce que vous avez fui.
Trois mois. Sans un mot pour moi. Douze semaines de silences.
Et bien moi, pendant ces trois mois là... j'ai pleuré un peu, repassé mes paupières, lissé mon amertume, rajouté un peu de misérabilisme à mon estime de moi. J'ai écrasé le petit espoir de bonheur qui avait éclairé mon coeur. Et tant que j'y étais je l'ai jeté à la poubelle, la rouge, celle des risques à ne plus courir.
Comme je suis non aimable, vous le savez bien, je vais même glisser ici la lettre que vous n'avez jamais lue, que je vous ai écrite avant que vous ne disparaissiez en silence, une lettre que vous ne lirez jamais. C'est terrible, cette méfiance, je m'étais protégée de vous, n'ai jamais avoué avoir ce goût des mots au bout des doigts. C'est l'âge, la prudence, l'expérience...c'est bon de vieillir. Deux lettres pour le prix d'une, c'est scandaleux, non ? Vous comprenez mieux pourquoi je vis assez bien avec si peu, n'est-ce pas ? Allons, la voilà. Rien que de la relire ça me fait drôle. J'aurais pu, vous savez, j'aurais vraiment pu. Mais on ne part pas comme ça, sans un mot. Non, on n'a pas le droit. Et je ne pleure plus votre prénom.
Je l'avais appelée "Une histoire simple"...
"Tu veux savoir à quoi je pense en te regardant, au loin mais pas trop, là, quand tu parles avec ton italien d'ami ? ou quand tu croques tes pilons grillés en savourant les milliers de calories que tu engouffres en croyant mincir peu à peu. Tu sais à quoi je pense parfois ?
Que je voudrais vivre une histoire avec toi.
Pas une compliquée, tu sais ! Juste une histoire remplie de rire, de sexe, de mots en trop, de silences qui vont s'échapper, de sourires pur verres en trop, de langues douces et de ventre replet, une histoire de bridge qui se décolle et de matin grognon, une histoire de peaux qui s'assemblent encore et encore, et même une avec tes larmes quand j'ai voulu partir. Je voulais être précieuse pour toi. Une histoire qui continuerait comme elle a commencé, quand tu as juste dit "tu me plaîs tant". Simplement. J'ai trouvé ça très étonnant de tant te plaire et de lire tes interrogations dans un regard soudain plus du tout sûr de lui. Oh, je sais bien que cela ne t'a pas fait rire que j'appelle ta voiture, la grosse boîte noire. Et que je t'interdise de garer devant ma maison l'autre, là, le stupide engin m'as-tu-vu qui a un cheval en insigne. Ou un autre truc. De toute façon, Porsche et BM, pour moi, c'est du en trop de chevaux. Je sais, tu aimes les belles mécaniques ; paraîtrait que j'en fait partie, merci. Une antiquité bien rôdée, tu apprécies... Moi je n'ai pas l'habitude d'aimer les hommes trop. Trop riches non plus. Mais bon, tu es un redoutable travailleur, un vrai créateur de concepts et d'entreprises. Qui marchent.
Et moi ?
Je n'ai de bien le plus précieux que du temps... Et cela t'épate quand même un peu. Du temps, que je laisse glisser sans refermer mon poing pour le capturer, le décompter. Du temps pour rien, sans ennui. Même pas pour toi. Pour moi seule des pans de rien.
Et toi...
Tu ne sais pas ce qu'est le rien... et tu n'es pas souvent là. Oui, je sais, j'ai entendu tes messages sur mon répondeur. Tu pars encore. Qu'importe, si je suis quelque part en toi, cela te suffira d'avoir des pensées de douceurs inutiles. Ton temps, sans compter, parce que tu es un vrai chef d'entreprise. Et le mien, en contant, parce que je suis une vraie rêveuse.
Moi, j'aime les contes. Ceux qui sont si jolis que personne n'y croit. J'aime les histoires simples, où ils s'aimeraient pendant longtemps. Pour de rien, pour de même pas peur, même pas mal. Tu viens ? "
Tu n'es pas venu, je n'ai pas eu le temps de te l'offrir, cette lettre d'amour.
Il ne fallait pas partir, puis revenir : même à moi, la coriace, cela m'a fait mal.
Bonne route, Patron.